10 janvier 1970
(Malgré son caractère épisodique, nous publions le début de la conversation suivante, car il est révélateur des difficultés auxquelles Mère se heurtait.)
... Et puis ça, c'est une traduction: quelqu'un qui était ici (il est parti maintenant) a fait une traduction. Probablement, ça ne vaut pas grand-chose, je n'en sais rien. Je ne sais pas à qui le donner. Quand tu n'auras rien à faire...
Douce Mère, le problème est que l'on n'arrive pas à publier les traductions à l'Imprimerie, ça n'avance pas. J'ai cinq livres de Sri Aurobindo qui sont prêts et ça n'avance pas.
Ils n'arrivent pas à faire leur travail.
Et alors, ils vous promettent, et ils ne peuvent jamais tenir leurs promesses.
Oh! ça, c'est ennuyeux. Parce que, quand A était ici, il avait fait un programme avec eux et il voyait que c'était...
C'est parti. Tout prêt, à l'Imprimerie, j'ai: Les Bases du Yoga, Les Lumières sur le Yoga, Le Cycle Humain, L'Idéal de l'Unité

 

Humaine, tes Entretiens 1958. J'ai ces cinq volumes qui sont prêts et qui attendent.
Mets-moi ça sur un papier. Et la prochaine fois que je vois Z (le manager), je lui dirai.
Et alors, douce Mère, à l'occasion dis-lui que quand je lui demande quelque chose – et que je le lui demande par écrit une fois, deux fois, trois fois –, il pourrait comprendre que je fais cela parce que je sens que ça doit être fait et il devrait répondre à ma demande, n'est-ce pas?
C'est parce qu'ils ne savent pas quoi dire... Mais non, douce Mère, c'est un truc très simple: je lui ai écrit trois fois pour lui dire: «Envoyez-moi les épreuves de la couverture de La Synthèse des Yogas.» Et il ne l'a pas fait.
Je crois que ce pauvre garçon n'a aucune autorité là-bas. Voilà mon impression.
Oui, mais alors, si la chose est imprimée avec des fautes, qu'est-ce que je dis? C'est ma responsabilité.1
Oui, et alors il vaudrait mieux que... On peut essayer de lui dire... Dans le temps, je le voyais une fois par semaine, et alors j'avais un petit peu plus de contrôle. Maintenant, je le vois une fois par mois; il vaudrait mieux que je recommence à le voir plus souvent...
Peut-être, oui?
Lui, était très content que je cesse de le voir...
(le disciple ouvre de grands yeux) ... parce que je fais une pression! C'est décourageant!...
(Mère rit)
Je n'arrive pas à comprendre que l'on puisse écrire trois fois à quelqu'un pour lui dire: «Envoyez-moi ces épreuves», et il ne le

 

fait pas! Non seulement il ne le fait pas, mais il me répond par un mensonge en me disant: «It has been approved by you»! [ça a été approuvé par vous]. Je ne lui en veux pas, douce Mère, il est bien gentil...
(Mère rit) Mais incapable! Ce que je peux faire, c'est de lui demander de m'envoyer les épreuves, et je te les passerai! Alors il verra qu'il est obligé de le faire1!
* *
J'ai retrouvé la Revue Cosmique2, c'est très amusant!... Je l'ai gardée pour te la montrer. Et puis ils ont fait des «règlements» pour les membres de la Société, c'est très amusant! Il faut être bien gentil les uns avec les autres!... Et puis, dans les règlements, il y a que l'on ne doit pas reconnaître de dieux personnels.
(Mère tend le dossier au disciple)
«La philosophie cosmique n'accepte aucun dieu personnel...»
Qu'elle accepte ou qu'elle n'accepte pas, il y en a malheureusement!... (rires)
C'est amusant. Je ne sais pas où mettre ça, tu peux le garder. Je crois qu'il faut le garder. Tu peux le garder?
Oui, douce Mère, il faut le garder, et un jour, pour l'histoire, ça vaudrait la peine de publier tout cela.
Mais oui, c'est cela: au point de vue historique, c'est amusant.
Il faut le garder très précieusement et un jour le publier comme un document.
1. Étant donné leur caractère épisodique, nous ne diffuserons pas l'enregistrement du début de cette conversation ni celui du fragment qui suit, bien qu'ils existent encore.
2. De Théon.

 

Oui, c'est cela.
*
Peu après1 Et puis j'ai une lettre de Paolo... Je vais le voir cet après-midi.
Je t'ai dit que j'ai vu la construction centrale d'Auroville... J'ai un plan. Ça t'amuserait de le voir?... Il y a des rouleaux, là (Mère déroule le plan tout en expliquant):
Il y aura douze facettes. C'est un cercle. Et à une égale distance du centre: douze colonnes. Au centre, sur le sol: mon symbole; et au centre de mon symbole, il y a quatre symboles de Sri Aurobindo, debout, formant un carré; et sur le carré, un globe translucide (on ne sait pas encore dans quelle matière). Et alors, du haut du toit, quand il y a du soleil, le soleil tombera en rayon là-dessus (nulle part ailleurs: seulement là); quand il n'y a pas de soleil, il y aura des réflecteurs électriques qui enverront un rayon (aussi UN rayon: pas une lumière diffusée), juste là-dessus, sur ce globe.
Et puis, il n'y a pas de portes, mais... en descendant profondément, on remonte dans le temple; on passe sous le mur et on remonte dedans – c'est encore un symbole. Tout est symbolique.
Et puis, il n'y a pas de meubles, mais il y a, sur le sol (comme ici), d'abord du bois probablement; puis sur le bois, un «dunlop» épais; et là-dessus, un tapis, comme ici. La couleur est à choisir. Le tout sera blanc. Je ne suis pas sûre si les symboles de Sri Aurobindo seront blancs... Je ne crois pas. Je ne les voyais pas blancs, je les voyais d'une couleur indéfinissable, qui était entre l'or et l'orange. Une sorte de couleur comme cela. Ils seront debout, ils seront creusés dans la pierre. Et un globe qui n'est pas transparent mais translucide. Et alors, tout au fond (sous le globe), il y aura une lumière qui sera projetée en l'air et qui rentrera diffusée dans ce globe. Et puis, du dehors, il y aura des rayons de lumière qui tomberont sur le centre. Et pas d'autres lumières: pas de fenêtres, une ventilation électrique. Et pas un meuble: rien. Un endroit... pour tâcher de trouver sa conscience.
Dehors, ce sera à peu près comme cela (Mère déroule un autre plan)... On ne sait pas si le toit sera tout à fait pointu ou...
Tout simple, tout simple.
1. L'enregistrement commence ici.

 

Ça pourra contenir à peu près 200 personnes. Alors, la lettre de Paolo?
Très douce Mère,
J'ai vu R dimanche, il est venu dans ma chambre, on a déjeuné ensemble.
Avec amour, j'ai arrangé pour Toi et pour R de très belles fleurs. Toi, tu étais avec nous. On a beaucoup parlé. J'ai senti R comme un frère.
Je lui ai dit qu'Auroville ne peut pas naître comme n'importe quelle ville (problème d'urbanisme, social, économique, tout cela: après). Le commencement doit être «autre chose». C'est pour cela qu'on doit commencer par le Centre. Ce Centre doit être notre levier, notre point fixe, la chose sur laquelle on peut s'appuyer pour essayer de sauter de l'autre côté – parce que c'est seulement de l'autre côté qu'on peut commencer à comprendre ce que doit être Auroville. Et ce Centre doit être la forme qui manifeste dans la matière le contenu que Toi tu peux nous transmettre sur tous les plans (aussi occultes). Nous, on doit être seulement le moyen ouvert et sincère à travers lequel tu peux concrétiser cela.
Et je lui ai dit comme j'ai senti la nécessité de s'approcher de tout cela en vivant l'expérience intérieurement et tous unis – gens d'Orient et d'Occident – dans un vaste mouvement d'amour, car c'est le seul béton possible pour bâtir «autre chose»...
C'est bien, ce qu'il dit.
... Et le Centre peut nous donner cet amour tout de suite parce que c'est l'amour pour Toi!
Je lui ai dit que, pratiquement, on pourrait commencer avec un moment de silence, tous rassemblés, et essayer de faire un blanc total, et sur ce blanc, avec l'aspiration de tout le monde, faire descendre les signes pour le commencement. Mais tous unis et tous ensemble, surtout ceux qui sont spirituellement les plus avancés: les Indiens.
R a été parfaitement d'accord. Il a dit que vraiment il faut faire ça.
(Mère approuve de la tête)

 

Je vois Paolo cet après-midi pour lui donner ce plan. Parce que c'est cela que j'ai vu, n'est-ce pas.
On va le faire en marbre blanc. L a dit qu'il irait chercher le marbre, il connaît l'endroit.
Toute la structure en marbre blanc?
Oui, oui.
Mais Paolo m'a dit une chose que je sens juste. Il m'a dit: on va construire ce Centre, on va mettre tout notre cœur et notre aspiration là-dedans, dans ce Centre...
Oui, oui.
Et à travers les années, ça va se «charger» de plus en plus... Oui.
Alors, il faut que ce Centre soit définitif: il ne faudrait pas qu'on enlève ce temple-là pour en construire un autre plus grand après.
J'ai dit cela pour calmer les gens qui pensent qu'il faut quelque chose de formidable. J'ai dit: «On commence par ça, et puis on verra...», tu comprends? J'ai dit: ce Centre doit être là jusqu'à ce que la ville soit entièrement construite, et après on verra – après, on n'aura pas envie de l'enlever!
Parce qu'il y en a beaucoup qui pensaient à quelque chose de «formidable».
Mais il dit qu'au point de vue architectural, il est très possible d'étendre la chose de l'extérieur, sans toucher à ce qui est déjà bâti.
Oui, oh! c'est très possible.
N'est-ce pas, R m'a dit: «Et alors, qu'est-ce que l'on fera après?» J'ai dit: «Eh bien, on y pensera plus tard!...» – C'est cela, ils ne savent pas... ils ne savent pas qu'il ne faut pas penser. Moi, je n'y pensais pas du-tout-du-tout-du-tout – un jour, je l'ai vu comme cela, comme je te vois. Et encore maintenant, c'est tellement vivant qu'il suffit que je regarde pour que je le voie. Et ce que je voyais, c'était le Centre et la lumière qui tombe dessus, et puis tout naturellement, en observant, j'ai remarqué, j'ai dit: voilà, c'est comme

 

cela. Mais ce n'était pas «pensé», je n'ai pas pensé «douze colonnes et puis douze facettes et puis...» Je n'ai pas pensé tout cela: j'ai vu.
C'est comme ces symboles de Sri Aurobindo... Quand je parle du Centre, je vois encore ces quatre symboles de Sri Aurobindo, qui se tiennent par leur angle, comme cela, et cette couleur... couleur étrange... je ne sais pas où l'on pourra trouver cela. C'est un or orangé, très chaud. Et c'est la seule couleur de l'endroit: tout le reste est blanc. Et le globe translucide.
Paolo a dit qu'il allait tout de suite se renseigner en Italie à Murano – l'endroit où l'on fait les grands cristaux –, pour savoir dans quelle mesure on peut faire un globe, par exemple de 30cm, en cristal
Il y a la dimension exacte sur le plan, ça doit être marqué.
Il y a une grande cristallerie là-bas.
Oh! ils font des choses merveilleuses là-bas. Ce n'est pas marqué, la dimension du globe?
Soixante-dix centimètres.
Ça peut être creux. Cela peut ne pas être plein, pour que ce ne soit pas trop lourd.
(silence)
Il est bien, Paolo. Oui, douce Mère.
Ce souterrain pour entrer... On entrera à une dizaine de mètres de distance du mur et au pied de l'urne. Ce sera l'urne qui marquera la place de la descente. Il faut que je choisisse exactement de quel côté... Et alors, il se peut très bien que, plus tard, l'urne, au lieu d'être dehors, soit au-dedans de l'enceinte. Alors on pourrait mettre, peut-être, simplement, un grand mur tout autour, et puis des jardins. Entre le mur d'enceinte et le bâtiment que l'on va faire maintenant, avoir des jardins et l'urne. Et ce mur-là aura une entrée (une ou plusieurs portes ordinaires): on pourra circuler dans le jardin.
Et puis, il faudra remplir certaines conditions pour avoir le droit de descendre dans le souterrain et d'émerger dans le temple... Il faut que ce soit initiatique un peu: pas tout à fait «comme cela» n'importe comment.

 

(silence)
À R, j'ai dit: «On verra cela dans vingt ans!» Alors, cela l'a tenu tranquille.
Mais la première idée était d'entourer ça avec de l'eau, de faire un îlot1 pour que l'on ait à traverser l'eau afin de pouvoir arriver au temple. C'est très possible de faire un îlot...
(silence)
Alors, c'est tout? Tu n'as pas autre chose? Non, douce Mère.
Ta maman va bien?... Je voudrais lui donner des fleurs. Ici, j'ai des fleurs pour toi, et puis pour Sujata – où est-elle?
Sujata?... elle est là!
Elle est là, derrière mon dos? (rires)
Non, à côté de toi!
(À Sujata:) Mais il faudrait des roses pour sa maman.
C'est à toi que Baron a dit (le dernier gouverneur de Pondichéry) qu'il voulait se faire enterrer dans mes couvertures de laine! (rires) Oui, il paraît qu'il avait froid. C'est S qui s'occupe de lui et qui m'a écrit pour me dire qu'il se réveillait en grelottant, et elle m'a dit: «Est-ce que tu peux lui envoyer une couverture ou deux?» Il paraît qu'il y avait dans la salle de méditation une de ces grandes boîtes de bois pleine de couvertures de laine magnifiques! Alors, j'en ai envoyé deux. J'ai seulement dit: «À condition qu'il ne les emporte pas... parce qu'il est très capable de les prendre! » (rires) Et puis il a dit à F, oh! qu'il était si heureux: «Je demanderai qu'on m'enterre dans les couvertures»! (rires)