21 mars 1970
(Le début de cette conversation a eu lieu en présence de Nolini et en anglais. Nous en donnons directement la traduction.)
Tu as reçu les Aphorismes d'hier?... Peut-être Nolini peut-il dire quelque chose...
408 – Je ne suis pas un bhakta [celui qui suit la voie de la Dévotion ou de l'Amour], car je n'ai pas renoncé au monde pour Dieu. Comment puis-je renoncer à ce qu'il m'a pris de force et qu'il m'a redonné contre ma volonté?...
(Mère rit) Alors T me demande ce qu'il voulait dire. Et puis, il y a un autre Aphorisme.
412 – Une fois que j'ai su que Dieu était une femme... (rires), j'ai compris vaguement ce qu'était l'amour; mais c'est seulement quand je suis devenu une femme et que j'ai suivi mon Maître et Amant, que j'ai connu l'amour absolument.
Que veut-il dire exactement? Savez-vous quand il a écrit cela?... J'ai répondu à T:
«Je ne peux pas répondre parce que tant qu'il était dans
un corps, il ne m'a jamais rien dit à ce sujet.
«S'il y a quelqu'un qui sait la date exacte à laquelle il l'a
écrit, cela pourrait être une indication.
«Peut-être N pourrait-il te dire quand cela a été écrit ou
si Sri Aurobindo lui en a dit quelque chose.»
(À Nolini:) Vous ne savez pas?
(Nolini:) Au début, quand il est arrivé à Pondichéry1.
Tout à fait au début... Mais alors qu'est-ce qu'il veut dire quand il dit: «Quand j'ai su que Dieu était une femme»!
1. En 1910.

 

(Nolini:) Il disait toujours que Krishna et Kâli sont un seul et même être. Ramakrishna aussi, une fois, est devenu une femme: Dieu était Krishna et il est devenu une femme. Pendant longtemps, il avait cette impression.
Naturellement, pour moi, la réponse c'est ce sens de l'humour! (Mère rit)
(Satprem:) Oui, tu as écrit à T: «Sri Aurobindo avait le génie de l'humour et il ne reste rien à faire que d'admirer et se taire.»
C'était ma première réponse, mais après, T m'a demandé: «Pourquoi exactement Sri Aurobindo a-t-il dit comme cela?...» Ça dépend de la date à laquelle ça a été écrit.
(Satprem:) Ça a l'air d'être la même expérience que Ramakrishna.
(Nolini:) Il signait les lettres qu'il écrivait à cette époque non pas «Sri Aurobindo», mais «Kâli».
Oh!
(Nolini:) Oui, toujours... Toutes les lettres qu'il a écrites à Motilal étaient comme cela.
Mais la façon de le dire!... (tout le monde rit)
*
* *
Peu après
Ce matin, j'ai eu pendant des heures cette expérience (le corps – le corps) que rien n'existe que le Divin. Et alors les deux sont comme cela (Mère place les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche). Mais pendant des heures... Et le malaise pour de toutes petites choses1 est beaucoup plus grand que dans la vie ordinaire, et le bien-être est merveilleux, et les deux sont comme cela! (Même geste indiquant une étroite fusion) Il faut être très-très-très tranquille. C'est seulement dans une paix intérieure que c'est supportable.

 

Ce n'est supportable, pour le corps, que quand le moment est venu où il est convaincu que le Divin est la seule Vérité, alors ça va bien. Parce qu'il sait que le malaise, si intense soit-il, est sûr de passer. Alors il est tranquille... C'est cela que j'ai appris... Ça a commencé hier soir et ça a duré toute la matinée – en fait, jusqu'à ce que tu viennes, mais c'est encore là.
(long silence)
Oui, c'est comme si cette Conscience intensifiait toutes choses pour les rendre plus perceptibles: toutes les circonstances de la vie. Des histoires fantastiques! fantastiques!... incroyables. Les maladies, les malentendus, les disputes, tout-tout est devenu aigu-aigu-aigu, comme pour que l'on soit bien obligé de le voir.
(silence)
Une chose drôle: une femme qui était ici (elle n'y est plus) a écrit une lettre qui est arrivée dans une enveloppe (une enveloppe qui a passé par la poste avec les timbres de Genève et les cachets): une lettre d'insulte pour l'Ashram à cause du traitement qu'elle y a reçu. Et en même temps (cette lettre est arrivée hier), ce matin, une dépêche de Bombay me remerciant de son séjour! Enfin un télégramme plein de gratitude me disant: je pars samedi (c'est-à-dire aujourd'hui) pour Genève. Et la lettre de Genève est arrivée avant, c'est-à-dire hier! Et le télégramme est arrivé aujourd'hui! (Mère rit)... Impossible de comprendre. Et sur le télégramme, il y avait la date, n'est-ce pas. Et les mêmes noms. Et l'une: des insultes; l'autre: des remerciements!... Ce n'est pas le seul exemple – celui-là est plus récent, c'est pour cela que j'en parle.
Il y a évidemment la volonté de bouleverser toutes nos prétendues connaissances d'habitude.
(long silence)
Ah! il faudra encore beaucoup de temps... Mais ça va aussi vite que ça peut. Seulement il y a beaucoup de travail.